Calvet, du street à la réussite

(Temps de lecture : 5 minutes)

Il est rare de découvrir la vie d’un artiste avant son œuvre. C’est pourtant bien ce qui m’est arrivé avec Jean-Marc Calvet, dont la vie s’est d’abord déroulée dans l’excellent documentaire de Dominic Allan, sobrement appelé Calvet et dont j’ai ensuite découvert les œuvres dans la galerie londonienne French Art Studio.

On y comprend la genèse d’un artiste, à la trajectoire compliquée, tantôt gamin des rues, garde du corps d’un mafieux, soldat dans les forces spéciales ou gérant de boite de nuit au Costa Rica.

Vous me direz, est-ce bien nécessaire de connaître une vie pour connaître une œuvre ? La réponse est oui, et d’autant plus dans le cas de Jean Marc Calvet, qui a trouvé dans l’art sa thérapie. Non pas dans le cadre confortable d’un centre de désintoxication mais dans une nécessité viscérale de vomir ses angoisses à travers la matière picturale.

Le film est puissant, honnête, émouvant. Parti pour filmer la vie pleine de rebondissements de Jean-Marc, Dominic prend un virage dans la deuxième partie du film, lorsque l’artiste décide de retrouver son fils abandonné. Il avoue le dépeindre dans chacun de ses tableaux et avoir trouvé avec ce film le courage de le retrouver. Les retrouvailles seront un moyen de refermer certaines plaies. Et par là-même de faire évoluer sa peinture.

J’ai rencontré Jean-Marc Calvet, et lui ai posé quelques questions :

Dans le documentaire il y a une ellipse entre le moment où tu découvres la peinture comme moyen de survie et celui où tu es un artiste établi. Raconte-nous comment cela s’est passé.

Sur les 60 heures de tournage, le réalisateur Dominic Allan a en effet dû sélectionner des passages. Par exemple, au départ le scénario n’était pas prévu comme cela mais mon fils est littéralement rentré dans l’histoire. En 2001, je  découvre la peinture dans cette maison par hasard. Je sors finalement de la maison où j’avais passé des mois à me droguer et je pars au Guatemala pour rejoindre une clinique de désintoxication. Mais ce n’était pas un problème d’addiction. Je voulais mourir. Je n’avais pas le courage de me mettre une balle dans la tête. C’était beaucoup plus facile, et j’aimais cela. La drogue, l’alcool à haut niveau quand tu as de l’argent, ce n’est pas si mal… Et en même temps c’est l’enfer. Pas l’enfer de la  drogue mais de toi-même, tu es complètement seul et sans repères. Dans cette clinique, je dessine, je colle, il faut que je fasse quelque chose, tout le temps. Je sais que c’est là où je vais les trouver les clefs et il ne faut pas que je m’arrête. En 2005, j’ouvre un petit restaurant au Nicaragua, et je peins le matin et l’après-midi. La chose la plus honnête que j’ai faite de ma vie est d’avoir accroché mes toiles au restaurant. C’est la première fois de ma vie que je ne mens pas. Je les mets sur les murs pour voir la réaction des gens. Elle est souvent négative. Un jour un mec arrive au restaurant et demande d’où viennent les peintures. Il est galeriste à New-York. Je suis très fier que quelqu’un s’intéresse à moi autrement que parce qu’il a peur de moi, donc je l’emmène dans mon petit studio. Quand t’es un gosse de la rue, personne ne te regarde avec amour. Grâce à la peinture c’est la première fois que je me suis vu beau dans les yeux des autres.

Quelles sont tes influences ?

Quand j’ai commencé à peindre je ne savais pas du tout. J’étais loin de l’art. Quand tu es un gosse de la rue, essaie de rentrer dans un musée, tu verras l’accueil. En plus ça ne t’intéresse pas. Je connaissais Babar, les dessins animés. Je ne savais pas dessiner. C’est en même temps ce qui fait ma particularité. Il faut faire de tes défauts des qualités. Quand j’ai commencé à peindre, je faisais des splashs. Et les gens me disaient que cela ressemblait à du Pollock. Je suis allé voir sur internet. Il m’a beaucoup copié (rires). Lors de ma première exposition à New York, je suis allé au MOMA pour le voir. J’ai chialé. Je ne chialais devant rien avant pourtant, tu as vu ma vie. Et là, la peinture m’a enlevé mes barrières. Et après Basquiat. Jean-Michel Basquiat. Et cela correspondait effectivement à l’évolution dans ma peinture. Et j’ai appris comme cela. J’ai eu une période de 20 tableaux ou j’ai essayé de discuter avec Modigliani. J’ai  vu un documentaire sur sa vie et j’ai trouvé des connexions. Je ne suis pas passé par sa peinture et ensuite son histoire, j’ai fait le contraire. En ce moment je suis en discussion avec l’artiste italien Cucchi que j’ai vu en 2007 à Venise. J’ai vu ce tableau avec un bateau, qui m’a énormément intéressé, et c’est un des tableaux qu’il y a à la galerie. Maintenant j’ai des discussions avec d’autres tableaux qui me donnent des clefs pour mon propre travail.

Comment vois-tu évoluer ton art ?

Je ne réfléchis pas à ce que je peins, je ne me dis pas qu’il faut que ça change parce que ma vie a changé. Ce que je peins, c’est en fait le polaroid de ma vie pendant ces 9 jours de peinture d’un tableau. Je me sers du passé. En dix ans, cela a beaucoup évolué. C’est beaucoup moins noir qu’avant. Avant je ne savais pas gérer mes démons et j’ai construit un mur autour de moi. Cette exposition représente une stabilité émotionnelle.

Quand on passe le pas de la galerie, que peut-on s’attendre à voir ?

C’est mon premier show solo, et c’est le bon moment pour découvrir mes œuvres. Peut-être qu’avant cela aurait été un peu trop noir, violent, et face à cela tu peux avoir tendance à ne pas t’approcher. Là il y a une discussion. C’est toujours moi, je suis honnête. Ce que je commence à trouver c’est l’équilibre entre la liberté et le contrôle. Cela m’est venu en revenant de Seattle, où j’avais une exposition en duo avec un artiste qui s’appelle Carbajal, et qui a trouvé cet équilibre.

Quels sont tes prochains projets ?

Je vais partir travailler avec des associations et le gouvernement de Nouvelle-Zélande pour sortir les gens de la rue. Il n’y a pas que l’art. Ce que j’ai reçu, à un moment il faut pouvoir le rendre. Je vais passer 20 jours à Auckland, où il y a des problèmes de drogue, de gosses de rue, etc. Comme j’ai une expérience de multiples problèmes, je peux leur parler de manière honnête. On vient du même endroit, mais je suis la preuve que l’on n’est pas obligé d’y rester.

Beyond the Impass, jusqu’au 15 novembre 2016

Le documentaire Calvet peut être visionné dans la galerie ou en VOD

French Art Studio 58 Gloucester Rd, Kensington, London SW7 4QT

+ Musique Radiohead  – Present Tense +

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