Quand on pense Orwell, on pense 1984. Voire la ferme des animaux, si on pousse un peu. Mais, si la description de la pauvreté et des strates de la société est si pointue, c’est parce qu’elle se nourrit de la propre expérience du jeune Orwell, alias Eric Blair, lors de sa période de galère à Paris puis à Londres. Lors de celle-ci s’opéra sa transformation d’apprenti romancier à écrivain politique.
Dans le livre Down and Out in Paris and London, le talent de description et d’analyse du jeune écrivain est flagrant. Il dépicte les hôtels sordides de Paris imprégnés d’un mélange tenace d’ail et de vin rouge, l’univers dantesque des grands hôtels régis par les codes sociaux, l’ivresse du samedi soir, où l’alcool bon marché offre de la joie pour quelques heures et fait oublier une vie marquée par l’absence de vie, justement. Car ce que l’auteur souligne, c’est que la pauvreté extrême, un ventre vide ou quinze heures de travail par jour ont cet effet d’annihiler toute pensée.
Et direction Londres, où il devient mendiant. Il y découvre une vie d’errance, car la loi est faite pour vous interdire de rester statique et la police est là pour vous le rappeler. Sans cesse sur la route, il vagabonde entre les centres d’hébergement, qui sont en fait des prisons qui vous privent de vie sociale et de vie sexuelle. Ce qui fait de nous des humains, en somme.
La réflexion est commune à ces deux expériences. Pourquoi garder une structure sociale si injuste ? Pourquoi maintenir une partie de l’humanité dans un état de non-humanité, justement ? Pour Orwell, ce modèle permet à une frange de la population de garder son statut. Cela fera écho bien des années plus tard dans 1984 aux gens de la plèbe, qui font vivre le parti, mais à cause de l’alcool, des jeux et quelques divertissements ne développent jamais une pensée capable de bousculer l’ordre établi.